Ce matin en moi il y a de la musique
Entre moi et la musique il y a le brouhaha. Le brouhaha c’est la foule. Entre la foule et les marchands il y a les couleurs, les saveurs, les textures – explosion des sens. La foule est dense. Joyeuse. D’un coté il y a moi. De l’autre la musique. Le silence maintenant. En moi se niche le désespoir. Devant le désespoir il y a seuls le piano, appartenant à un autre temps et la planche à roulettes fatiguée de le porter, telles de cadavres. Quelques pièces, jetées par quelques passants – touchés par la musique ou apitoyé par le sort de l’artiste, brillent faiblement dans la lumière pâle du soleil. Le froid englobe la scène. Le froid pénètre tout. La foule est dense. Elle m’emporte dans son agitation. Derrière moi je traîne la désillusion.
Au milieu de la foule en moi j’entrevois de la musique.
Devant moi les vapeurs du thé se mélangent à ceux de mon souffle. A sa droite la planche – table de fortune. De la planche les vapeurs du thé se mélangent à ceux de son souffle. Devant lui le piano. Ses doigts longs caressent le clavier gelé. Le froid, morphine naturelle, m’endors et sous ses mains la musique m’emporte.
Ses yeux sont profondément noirs.
Entre lui et son maigre public il y a passion et solitude. Entre lui et moi il y a un lien invisible tissé de fils d’arrogance et de mépris de tous ces gens. De tous les gens. Le fil de lassitude de croire en eux et en dépit d’elle l’acharnement. Un nœud de dégoût de l’être humain, mais un besoin fondamental, douloureux et obsédant de l’homme serre le tout. Puisque, que serait l’artiste (humaniste) sans lui ?
Ses yeux sont noirs.
Je ramasse mon cahier à dessin et je me fige dans son regard.
Dehors il fait froid. Ses mais son chaudes.
Les yeux du pianiste son trop noirs…